Chanson d'amour

Publié le 7 mars 2025 à 16:09

La pluie tombait goutte à goutte, inlassablement, monotone, depuis sept jours consécutifs. Les lampadaires projetaient des halos dorés sur le trottoir, éclairant à peine les rues noyées sous l'eau. Les voitures passaient en rugissant dans l'obscurité. Le clapotis régulier contre les fenêtres et les murmures des passants emmitouflés résonnaient en écho dans l'esprit de Vincent, apaisant son âme tourmentée. Ces bruits familiers de la ville avaient toujours eu ce pouvoir sur lui, comme un baume qui adoucit ses blessures invisibles.

Mais ce soir-là, quelque chose captiva son attention. Une lumière persistante dans l’immeuble d’en face. Chaque nuit, cette chambre restait allumée, un point fixe dans la folie de la ville. Au début, il avait imaginé une petite fille, effrayée par l'obscurité. Puis il l’avait vue : une jeune femme, arrosant des roses d'un bleu étrange, mêlées à des cerfeuils sauvages. Ses cheveux noirs. Ses lèvres, d'un rouge cerise. Ses yeux, vifs et perçants. Et ses taches de rousseur. Elle était d'une beauté fascinante, presque irréelle. Vincent aurait voulu détourner les yeux, mais il ne pouvait pas.

« Je pourrais porter plainte contre toi, tu sais. »  

Sa voix, espiègle, le fit sursauter. Elle était là, derrière la fenêtre entrouverte.  

« Tu regardes ma chambre tous les soirs. C’est un peu flippant. »  

Rouge de honte, il balbutia : « Excuse-moi. »  

Elle haussa les épaules, un sourire amusé sur les lèvres.  

« Ne t’excuse pas. Tout le monde a le droit d'observer un ange. »  

Puis elle disparut, emportant avec elle la chaleur de l'instant. Vincent resta figé, son cœur battant fort. L'ange des roses bleues venait de lui adresser la parole, et il avait été incapable de répondre autre chose qu'une excuse banale. Trois jours passèrent. Trois jours pendant lesquels il attendit, espérant la voir à nouveau, comme un homme cherchant une lueur dans l'obscurité. Il se surprit à penser à elle au bureau, à imaginer le son de sa voix espiègle ou la courbe de ses lèvres esquissant un sourire. Il passait ses soirées à scruter la fenêtre, espérant entrevoir son ombre ou une lueur dans cette chambre étrange.

Puis, un soir, elle réapparut, radieuse et vivante. Sans réfléchir, il lança :  

« C’est quoi, pour toi, tomber amoureux ? »  

Elle haussa un sourcil, surprise.  

« Eh… pardon ? »  

« Désolé, c’est pour un projet. Je dois parler de ce qu’on ressent en tombant amoureux. »  

Elle réfléchit un instant, puis répondit, jouant avec une mèche de cheveux :  

« Tomber amoureux, c’est comme tendre une arme à quelqu’un, pointée sur ton cœur, en espérant qu’il n’appuie pas sur la gâchette. »  

« Wow… c’est triste. »  

« C’est réaliste, plutôt. »  

Un silence s’installa entre eux, mais il n’était pas gênant. Au contraire, il semblait lourd de possibilités. Finalement, il osa demander :  

« Tu n’es jamais tombée amoureuse ? »  

Elle haussa les épaules.  

« Pourquoi faire ? »  

« Je sais pas… c’est beau, l’amour. Les papillons dans le ventre, les battements du cœur, entendre un ‘je t’aime’. »  

Elle esquissa un sourire amer.  

« Oui, c’est beau… mais seulement quand on sait que celui-ci ne nous fera jamais de mal, laissent des cicatrices derrière lui. »

Ces mots, bien que teintés de mélancolie, s’imprimèrent dans l’esprit de Vincent. Elle n’était pas comme les autres, cette femme. Elle portait en elle un univers de douleur et de mystère, un mélange de fragilité et de force qui le fascinait. Les jours passèrent, et chaque instant passé avec elle semblait raviver une lumière dans sa vie monotone. Elle était imprévisible, comme un feu follet dans un monde figé. Chaque conversation avec elle était un puzzle, une image fascinante qui ne se résolvait jamais totalement. Ce qui l’attirait, c’était sa complexité. Plus il passait de temps avec elle, plus il notait ces petites choses : la manière dont elle effleurait une fleur, comme si elle murmurait des secrets au vent ; son rire, léger comme une cascade. Tout en elle le captivait.  

Un soir, allongés dans un parc, l’herbe encore humide de la pluie, elle se mit à chanter, sa voix fragile, presque un murmure. «Loving you is such a wonderful thing, but baby, I’m not trying to be mean…»  

« C’est quoi ? » demanda-t-il, les yeux fermés.

« Loving U par Me and My Sandcastle. Tu ne connais pas ? C’est presque criminel, Vincent. »  

Il sourit avant de dire « Ça ressemble à une chanson triste. »  

Vincent ouvrit les yeux et se redressa. Il y avait dans sa voix quelque chose de brut, de vulnérable, comme une confession inconsciente. Elle semblait chanter non pas pour lui, mais pour quelque chose de plus grand, comme si ces mots portaient un poids qu’il ne comprenait pas encore.  

Les jours suivants, si bien que rayonnantes, un malaise grandissait. Chaque fois qu’ils étaient en public, les regards des passants semblaient trop insistants. Parfois, Vincent entendait des murmures, des bribes de phrases qu’il ne comprenait pas. Un jour, alors qu’ils prenaient un café sur une terrasse, il remarqua une vieille femme qui les observait avec une expression étrange, entre pitié et jugement. Quand leurs regards se croisèrent, la femme détourna rapidement les yeux, mais pas assez vite pour cacher son malaise.

Vincent se pencha vers Ethel.  

« Tu as remarqué ces regards autour de nous ? »  

Elle haussa les épaules, un sourire ironique sur les lèvres.  

« Peut-être qu’ils sont jaloux ou peut-être que tu vois encore ce que tu veux voir, Vincent»  

Il sourit, mais un doute s'installa. Pourquoi tous ces regards ? Malgré cela, il s’accrochait à elle. Elle était devenue sa lumière, son souffle dans un monde terne. Mais cette lumière, si éclatante, commença à l’aveugler.  

Un jour, ils s’assirent près de la mer. Vincent observait Ethel marcher vers les vagues. C'était bien la première fois qu'elle s'approchait de l'eau, elle qui l'avait tant détestée. Elle se retourna et lui sourit, un sourire mélancolique qui semblait contenir mille adieux.  

« Tu ne pourras pas survivre sans moi, c'est un fait.  Mais tu vois, j'ai pas envie de rester ici, près de toi, pour le restant de ma vie. » Elle marqua une pause, les yeux fixant l’horizon. « Ce n’est pas parce que tu es un mauvais mec, loin de là. Mais j'en ai assez d'exister. Reste pas dans ton monde, Vincent. »  

Les mots le frappèrent comme une gifle.  

« Mais qu'est-ce que tu racontes ? Dis pas n'importe quoi. Rester avec moi. »  

Ethel s’approcha, posa une main sur sa joue et murmura :  

« Tu sais, les gens pensent que la tristesse est temporaire. J'aimerais que ce soit le cas. Cependant, toi t'y arrive pas. Il faut que tu te réveilles Vincent.»

Elle l’embrassa doucement, un baiser empreint de tendresse et de douleur. Vincent sentit un vide grandir en lui. Il tenta de la retenir, mais elle s’éloigna, ses pas légers laissant à peine une trace dans le sable. Elle marcha jusqu’au rivage, les vagues effleurant ses chevilles, avant de disparaître entre les eaux sombres.  

Ce n’est qu’à cet instant qu’il comprit. Ethel n’avait jamais vraiment existé. Elle n’avait été qu’un souffle, un mirage dans une vie marquée par la solitude et le désespoir. Tout ce qu’il avait partagé avec elle n’était qu’une projection de son esprit, une tentative désespérée de combler un vide qu’il refusait de voir.  

Debout sur la plage, une rose bleue à la main, il murmura doucement :  

« Loving you is such a wonderful thing, but baby, I'm not trying to be mean… and I should let you go…» 

Ethel… était-elle la vie ou la mort ? Il ne le saurait jamais.

 

 

Nouvelle écrite pour le Concours d'écriture des Quinzaines par Chaibate Douaa.

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