Durant une longue période, les jeunes ont été considérés comme déconnectés, indifférents, voire apathiques. On a discuté d'une génération « zapping », accaparée par ses dispositifs numériques, détachée des luttes collectives majeures, trop volatile pour s'impliquer à long terme. Néanmoins, au-delà de ces stéréotypes persistants, il existe une autre réalité plus nuancée et vivante : celle d'une jeunesse qui, silencieusement mais avec force, est en train de remodeler les modalités et les espaces de l'engagement.
Une jeunesse plus impliquée qu'on ne le pense.
En dépit de certaines croyances répandues, les données sont claires : les jeunes ne sont pas apolitiques, ils s'impliquent différemment. Selon une recherche de l'INJEP (Institut National de la Jeunesse et de l'Éducation Populaire), presque 60 % des jeunes âgés de 18 à 25 ans ont pris part à au moins une initiative collective ou altruiste durant l'année écoulée : signatures de pétitions, défilés, bénévolat, campagnes sur les médias sociaux, et plus encore. Cependant, cet engagement ne suit pas toujours les voies conventionnelles. Un grand nombre de jeunes évitent les partis politiques et les syndicats, perçus comme rigides, manquant de transparence et n'étant pas en phase avec leurs réalités. Ils préfèrent plutôt des approches plus flexibles, plus instantanées, plus horizontales. L'implication devient personnelle, incarnée, souvent émotionnelle - sans toutefois perdre de sa profondeur.
Des causes enracinées dans la réalité.
Les jeunes de notre époque ne s'impliquent pas « pour faire bonne impression » ou « pour garnir un curriculum vitae ». Ils s'impliquent parce qu'ils ressentent, de manière tangible dans leurs quartiers et leur vie quotidienne, les conséquences réelles des inégalités sociales, du changement climatique, du racisme, du sexisme ou de l'instabilité économique — cela représente une expérience vécue de l'injustice, qui engendre un engagement profond, authentique et souvent pressant.
Greta Thunberg en Suède, Assa Traoré en France, Malala au Pakistan : ces personnalités emblématiques de luttes internationales ont toutes vu le jour dans leur jeunesse, mais elles étaient engagées dans des batailles ancrées dans une expérience personnelle de l'injustice.
Dans les lycées, les facultés, les groupements ou tout simplement sur internet, des milliers de jeunes suivent leur exemple, généralement sans faire de vagues. Ils se trouvent au sein de groupes communautaires qui mettent en place des maraudes ou des sessions d'aide aux devoirs. On les voit sur TikTok et Instagram, décomposant des sujets complexes avec pédagogie et humour. Ils se trouvent dans les établissements scolaires, enseignant à leurs camarades sur la santé mentale, la lutte contre les discriminations et le droit à l'éducation.
Il n'y a donc pas une volonté d'engagement par simple effet de mode, mais parce que ces questions impactent leur vie quotidienne et qu'ils ressentent un devoir d'engagement. L'engagement se transforme alors en un acte de survie tout autant qu'en un geste politique.
Le digital, un outil crucial.
L'évolution des outils a également contribué au changement de forme de l'engagement des jeunes. Les plateformes de médias sociaux ne sont plus uniquement des lieux de divertissement : elles se sont transformées en véritables espaces d'activisme. Une histoire bien élaborée, un TikTok parfaitement édité ou une infographie à fort potentiel viral peuvent atteindre un public plus vaste qu'une chronique publiée dans un prestigieux quotidien. Ces formats brefs, conçus pour l'attention dispersée de notre époque, facilitent la transmission rapide et à grande échelle de messages percutants. Il faut cependant se méfier du « slacktivisme », cette attitude d'engagement superficiel qui consiste à partager sans entreprendre d'actions concrètes. Un nombre croissant de jeunes dépassent les attentes : ils lèvent des fonds, mettent en place des initiatives tangibles, fondent des médias autonomes ou participent à des projets altruistes.
Ainsi, les réseaux sociaux ont acquis une puissance considérable en tant qu'outils pour organiser, mobiliser et documenter. Ces derniers facilitent la diffusion d'une cause, l'éducation et la formation de communautés investies.
Encore une fois, TikTok, souvent considéré comme un simple espace de loisirs, héberge néanmoins des centaines de créateurs qui popularisent des thèmes allant du droit du travail à l'écologie, au féminisme ou à l'histoire coloniale. Par exemple, le compte @geomancis_media diffuse des vidéos sur des concepts juridiques ou sur les droits des locataires avec une combinaison de clarté et d'humour.
Une révolution discrète mais pérenne.
Ce qui rend cette révolution silencieuse, c'est qu'elle ne respecte pas les normes traditionnelles du militantisme. On ne voit pas toujours des bannières, des slogans scandés dans les rues ou des tribunes couvertes par les médias. Au lieu de cela, il y a des visages jeunes, parfois épuisés, mais résolus. Il existe des gestes quotidiens : assister un voisin, instruire ses amis, tisser des relations. L'engagement n'est plus un instant spectaculaire, mais une attitude constante. C'est une façon d'occuper le monde, de rejeter l'indifférence, de rechercher du sens.
Lorsque les jeunes s'engagent, cela est fréquemment omis du discours dominant. Les médias ont tendance à mettre l'accent sur les « jeunes casseurs » plutôt que sur les « jeunes organisateurs ». Cependant, on a observé ces dernières années des rassemblements de jeunes à grande échelle.
En 2023, la réforme des retraites en France a entraîné un blocage des universités et une augmentation du nombre de lycéens participant à chaque manifestation. La diminution des financements universitaires, les conditions de vie dans les logements CROUS, ou la diminution de l'aide au logement ont déclenché une véritable révolte étudiante. C'est ce que démontre le groupe « La galère étudiante », qui a protesté, pancartes en mains, contre l'indifférence politique à leur situation.
Des mouvements tels que « Fridays for Future » ou « Youth for Climate » ont également mobilisé des milliers de jeunes dans les rues, en France et ailleurs, exprimant leur inquiétude pour l'avenir et leur aspiration à un monde plus équitable.
Aussi dans l'histoire, les jeunes ont constamment été à l'avant-garde des changements sociaux. Cependant, leur contribution est fréquemment sous-estimée, voire rendue invisible par les médias et les générations antérieures.
En France, Mai 68 n'aurait pas eu lieu sans l'énergie débordante de la jeunesse universitaire.
Aux États-Unis, les courants hippies des années 60, principalement populaires chez les jeunes, bien qu'initialement critiqués comme « anti-patriotiques », ont eu une influence considérable sur les combats pour les droits civils, l'opposition à la guerre du Vietnam et la défense des libertés individuelles.
Au Maroc également, bien que le taux de chômage des jeunes frôle les 32 % selon la Banque mondiale, de nombreux jeunes s'engagent dans des projets culturels, rejoignent des mouvements de protestation ou mettent en place des initiatives d'économie solidaire, et ce même face à un climat de méfiance omniprésente.
Valoriser l'image de cette jeunesse.
Devant cette situation, il est impératif de modifier notre récit. Les médias ont trop fréquemment tendance à focaliser sur les actes de violence, les « jeunes en difficulté » et les tensions. Ils montrent trop peu souvent les jeunes qui réparent, qui bâtissent, qui viennent en aide. Il est nécessaire de narrer ces histoires. Célébrons-les. Accorder la parole à ceux et celles qui sont engagés dans des combats à l'échelle humaine. Rétribuer ces démarches. Rendre ces éléments visibles. Car la reconnaissance n'est pas une récompense sans importance : elle apporte de la puissance, confirme l'impulsion, encourage à persévérer.
Donc ce que nous percevons actuellement, c'est l'apparition d'une génération qui ne se contente plus d'être représentée : elle désire se représenter elle-même. Podcasts, documentaires, séries en ligne, poésie, articles ou récits activistes : les jeunes construisent leur propre média et tissent leurs propres histoires.
Ils regagnent le contrôle sur le récit, déconstruisant les stéréotypes, rehaussent la valeur de leur propre voix. Cette approche est politique dans le sens le plus pur du terme : elle questionne qui détient le droit de s'exprimer, d’être entendu et d'exercer une autorité.
Avoir foi en la jeunesse, plus que jamais aujourd'hui.
La jeunesse n'est pas une promesse vague. Elle est présente. Elle prend des mesures. Elle crée des choses nouvelles. Elle effectue des réparations. Elle nourrit de l'espoir.
Affirmer que les jeunes ne s'investissent pas, c'est ignorer que leur engagement a évolué. Ce n'est pas l'absence de conflit, mais une transformation des tactiques.
Ils ne tiennent pas systématiquement les drapeaux traditionnels, cependant ils s'engagent dans des combats réels qu'ils expérimentent et personnifient. Ils ne se limitent plus à suivre, ils innovent. Ils ne se contentent plus de témoigner, ils aspirent à bâtir.
Dans un monde confronté à des défis écologiques, sociaux et économiques, leur voix est plus indispensable que jamais. Pas seulement un « espoir pour demain », mais une dynamique proactive d'aujourd'hui.
On doit appréhender cette jeunesse non pas comme un enjeu à surveiller, mais comme une réponse à écouter.
Pas comme une génération déchue, mais plutôt comme une génération en combat, une génération créative, une génération qui se tient fièrement.
CONTEXTE ET INTENTION:
Cet article a pour but de démystifier les stéréotypes tenaces concernant l'engagement des jeunes, dans un contexte social caractérisé par une défiance grandissante envers les institutions et une image fréquemment défavorable de la jeunesse dans les médias. En utilisant des cas pratiques, des études récentes et un point de vue générationnel, je vise à prouver que la jeunesse contemporaine n'est pas du tout désintéressée ou passive : elle s'investit d'une manière unique, avec ses propres références, ses propres combats et une conscience accrue des problématiques qui la concernent directement. Le but est de rétablir la parole pour cette génération trop régulièrement mise en silence, tout en mettant en avant sa puissance d'action, de création et de changement du monde.
Article écrit par Chaibate Douaa à l'occasion du concours Prix Vision Jeunesse créé par Ashoka France.
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