Le Rêve Vendu : Le Mariage Comme Narration Unique Pour les Femmes

Publié le 10 septembre 2025 à 15:26

Le Conditionnement Culturel et Médiatique 

Depuis l’enfance, filles comme garçons absorbent des récits culturels (contes, films, séries, publicités) qui érigeaient jadis le mariage comme l’accomplissement ultime pour les femmes. On y valorise l’amour au premier regard, les âmes sœurs, la famille parfaite… comme si seule cette voie garantissait bonheur et complétude. Aujourd’hui, les réseaux sociaux (Instagram, TikTok, YouTube) diffusent à grande échelle des récits de fiançailles montrées sous leur plus beau jour, sans jamais montrer l’après: charge mentale, conflits de couple, individualité perdue… Pendant ce temps, de nombreuses vidéos montrent des femmes célibataires épanouies, contrastant avec celles qui témoignent de leur mal-être marital.

 

Générations à Comparer : De la Soumission à l’Autodétermination

Il est essentiel de replacer l’évolution des rôles féminins dans leur contexte historique pour comprendre l’ampleur du conditionnement lié au mariage. Nos grand-mères, et même nos mères, ont souvent vécu dans un système où l’union matrimoniale n’était pas un choix, mais une obligation sociale, économique et morale. À l’époque, une femme seule était perçue comme “incomplète”, voire suspecte. L’honneur d’une famille reposait sur la capacité d’une fille à se marier “correctement”. Refuser un mariage, divorcer ou choisir une vie indépendante entraînait l’humiliation publique, l’exclusion familiale, voire la précarité matérielle.

Jusqu’en 1965 en France, une femme mariée n’avait ni le droit de travailler sans l’accord de son mari, ni celui d’ouvrir un compte bancaire personnel. Ce détail, trop souvent oublié, démontre que la dépendance économique des femmes était légalement structurée. Le mariage n’était donc pas uniquement une affaire sentimentale, mais une condition de survie et de reconnaissance. Dans de nombreux pays du monde, encore aujourd’hui, cette dépendance structurelle existe : les femmes sont maintenues sous tutelle, privées de liberté juridique ou financière.

À l’inverse, la génération actuelle évolue dans un cadre où les femmes ont, en théorie, accès à une autonomie plus large. Elles peuvent faire des études, gagner leur vie, voyager seules, divorcer sans être légalement stigmatisées, choisir de ne pas avoir d’enfants ou de ne pas se marier. Mais cette liberté ne signifie pas que la pression sociale a disparu : elle s’est simplement déplacée. Aujourd’hui, elle passe davantage par des injonctions douces (“tu n’as toujours pas trouvé quelqu’un ?”, “tu vas finir seule...”), par les représentations médiatiques, ou par des discours culpabilisants autour de la maternité et de la "féminité accomplie". Autrement dit, bien que les femmes aient désormais le choix, elles doivent encore lutter pour que ce choix soit reconnu comme légitime — y compris par elles-mêmes.

 

Le Féminisme : Une Lutte Multiforme Toujours d’Actualité

Le féminisme, loin d’être un caprice moderne ou un simple mouvement “de mode”, est un combat structurel pour l’égalité réelle entre les genres. Il vise à remettre en cause un ordre patriarcal ancien qui place les hommes en position de pouvoir politique, économique, familial et symbolique. Historiquement, les femmes ont été exclues des sphères décisionnelles, réduites à des rôles de soin, de reproduction et de silence. Le féminisme, depuis plus d’un siècle, déconstruit cette hiérarchie et exige des droits fondamentaux : droit de vote, droit à l’éducation, à la propriété, au divorce, à l’avortement, à la protection contre les violences sexistes et sexuelles. Ces avancées n’ont jamais été données : elles ont été arrachées par la lutte.

Mais aujourd’hui encore, être féministe reste un acte politique fort. Ce n’est pas un combat “terminé” comme aiment à le dire certains discours réactionnaires. Les inégalités économiques persistent : les femmes, à poste égal, sont moins payées ; elles sont majoritaires dans les métiers précaires ; elles représentent la majorité des victimes de violences conjugales et le plus grand nombre de travailleurs domestiques non déclarés. Dans la culture, leur parole est souvent mise en doute, ridiculisée ou minimisée. Être féministe aujourd’hui, c’est aussi s’opposer aux contre-mouvements anti-droits, comme le masculinisme ou les tentatives de démantèlement du droit à l’avortement dans plusieurs pays.

De plus, le féminisme contemporain est intersectionnel, c’est-à-dire qu’il prend en compte les autres formes d’oppressions que vivent les femmes : racisme, validisme, classisme, homophobie, etc. Il ne s’agit pas seulement de défendre “la femme blanche occidentale”, mais de faire entendre toutes les voix : femmes racisées, migrantes, transgenres, handicapées, travailleuses du sexe… Le féminisme ne se réduit pas à un slogan, mais à une réflexion critique sur le monde et sur les rapports de pouvoir, encore profondément genrés. Sa présence constante est donc vitale, non seulement pour défendre des droits acquis, mais aussi pour protéger les choix que tant de femmes, aujourd’hui, veulent pouvoir faire sans pression, sans peur, et sans devoir se justifier.

 

"Black Box Diaries" : Le Combat de Shiori Ito Pour la Justice

Black Box Diaries est un documentaire de Shiori Itō, journaliste japonaise, sorti en 2024. Il raconte son calvaire après un viol commis en 2015 par Noriyuki Yamaguchi (journaliste influent proche du Premier ministre Shinzo Abe) : droguée, transportée de force dans un hôtel, violée, puis confrontée à un système judiciaire et médiatique fermé, qui lui refuse justice pendant plusieurs années. Itō s’exile, collecte des preuves personnelles (journaux enregistrés sur smartphone, témoignages, vidéos privées), publie un livre en 2017 et fait pression pour réformer la loi japonaise sur le viol, où seuls les rapports "forcés" étaient reconnus, jusqu’à l’adoption en juin 2023 d’une nouvelle loi incluant le "non-consentement" comme critère. Le film a été nominé aux Oscars 2025, mais reste bloqué au Japon (El País, Financial Times, Le Temps, trigon-film, Les Nouvelles News, Nippon, pro.bpi.fr, Wikipédia, Wikipédia).

Masculinisme, Incels et Haine Numérique : Définitions et Crises Actuelles

Le masculinisme est une idéologie réactionnaire, anti‑féministe, apparue dans les années 1970 en Amérique du Nord et popularisée par Internet depuis les années 2000 : elle prétend que la société privilégie les femmes, accuse le féminisme de provoquer une "crise de la masculinité", glorifie les rôles traditionnels, et nourrit une identité masculine ressentimentale et dominatrice.

Parmi ses courants :

  • Les MGTOW (« Men Going Their Own Way »), hommes rejettant toute relation avec les femmes, revendiquent un séparatisme masculiniste.
  • Les Incels, acronymes d’« involuntary celibates », désignent des hommes hétérosexuels qui se disent incapables de nouer une relation amoureuse, et accusent les femmes de leur célibat, tout en développant des discours misogynes, violents voire racistes (vocabulaire : "Chads", "Stacys", "Black pill") .

Ces idéologies circulent au sein de la manosphère, vaste espace numérique comprenant forums, vidéos, blogs où ces groupes se radicalisent.

Un documentaire français, « Mascus. Les hommes qui détestent les femmes », réalisé par Pierre Gault, a exploré pendant 9 mois l’influence de ces idéologies en ligne, identifiant en 2023 plus de 100 masculinistes parmi 150 000 influenceurs français, et montrant comment des ex-incels basculent dans la violence.

 

La Menace Réelle : Incidents et Projet Terroriste en France

Début juillet 2025, un jeune homme de 18 ans venant de Saint‑Étienne, se revendiquant de la mouvance incel, a été mis en examen par le Parquet national antiterroriste pour un projet d’attaque contre des femmes, avec des armes saisies à son domicile (Osez le féminisme!). C’est la première fois en France qu’un dossier purement masculiniste est qualifié officiellement de terrorisme.

Cette menace s’inscrit dans une série d’attaques globales commises par des individus influencés par l’idéologie incel (Toronto 2018, Californie 2014, Plymouth 2021). En France, en mai 2024, un projet similaire a été déjoué à Bordeaux alors que l’auteur planifiait un attentat lors du passage de la flamme olympique.

Ce climat a conduit des voix féministes à demander une régulation forte des contenus de haine sexiste en ligne, similaires à ceux adoptés pour le terrorisme islamiste, mais aussi a se rendre compte de la dangereuse idéologie et psychologie masculiniste.

 

Pourquoi le Féminisme Reste Une Force de Résistance Face à la Radicalisation Misogyne

Face à la montée inquiétante des discours masculinistes et incels, le féminisme joue aujourd’hui un rôle de rempart culturel, idéologique et social. En effet, nous ne sommes plus dans une simple opposition d’opinion, mais dans un climat où la haine envers les femmes se structure comme une idéologie violente, parfois meurtrière. Le cas du jeune homme de 18 ans arrêté à Saint-Étienne en juillet 2025 pour un projet d’attentat contre des femmes, inspiré par les discours incels en ligne, marque un tournant. C’est la première fois en France que le Parquet national antiterroriste qualifie un acte masculiniste de terrorisme, soulignant l’urgence de prendre au sérieux cette menace, longtemps minimisée.

Les incels — célibataires involontaires — se radicalisent sur des forums où les femmes sont décrites comme manipulatrices, responsables de leur malheur, et parfois désignées comme cibles légitimes. Ces groupes, qui se répandent sur Reddit, Telegram, 4chan ou Discord, nourrissent un imaginaire dangereux : celui d’un homme “dépossédé de ses droits” par une société féminisée, où il aurait le devoir de se “venger”. Cette logique repose sur une inversion perverse du réel : alors même que les femmes continuent de subir des discriminations, ce sont elles qui sont désignées comme “dominantes”, “trop libres”, “trop exigeantes”.

Le féminisme, dans ce contexte, est plus que jamais un contre-discours fondamental. Il offre un espace de solidarité, de vigilance et de dénonciation. Il permet aussi de créer une culture alternative, où les femmes ne sont pas réduites à leur fonction reproductive ou relationnelle. Là où certains politiciens comme Emmanuel Macron appellent les couples à "faire plus d’enfants" en réponse à la baisse de natalité, le féminisme rappelle que le corps des femmes n’est pas un outil de politique démographique. Là où certains s’inquiètent de la solitude des hommes, sans questionner leur rôle dans les dynamiques relationnelles, le féminisme rappelle que l’égalité émotionnelle, la communication, le soin et l’éducation non sexiste sont les vraies réponses et non la haine ou la vengeance.

 

Reprendre le Pouvoir de Se Raconter

Ce que montre l’ensemble de cet article, c’est que la liberté des femmes n’est ni une évidence, ni un acquis, mais un processus fragile, sans cesse menacé par les récits dominants, les nostalgies réactionnaires, ou les violences sexistes en ligne et hors ligne. Le mariage, tel qu’il est encore vendu par les industries culturelles et les réseaux sociaux, n’est pas en soi une oppression : c’est le conditionnement autour de ce modèle unique, érigé comme l’unique voie vers le bonheur, qui pose problème.

Aujourd’hui, les femmes peuvent (parfois pour la première fois de leur lignée) se choisir elles-mêmes. Choisir de vivre seules, en couple, en colocation, avec ou sans enfants. Choisir de se consacrer à l’art, à la science, à la spiritualité, à la politique, ou simplement à elles-mêmes. Et surtout, refuser la honte, la pression, ou le rejet qui accompagnent ces choix. C’est là, précisément, que réside le cœur du féminisme : permettre à chaque femme de reprendre possession de son récit, sans culpabilité, sans peur, sans injonction.

Face à une société qui tente de récupérer leurs corps pour ses besoins économiques, leurs émotions pour nourrir des mythes, et leurs failles pour justifier leur marginalisation, les femmes écrivent aujourd’hui une autre histoire. Une histoire de résistance, de conscience, de sororité, mais surtout, de liberté.

 

Ecrit par Chaibate Douaa

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